juin 07, 2023
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Le Siège silencieux du Haut-Karabagh résonne au Parlement européen

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    Press Release_June 7 2023_Lika & Bellamy

Mardi 6 juin, le Parlement européen accueillait un événement au sujet du blocus dans le Haut-Karabagh, parrainé par le député François-Xavier Bellamy, avec en invitée d’honneur, la jeune journaliste Lika Zakaryan, autrice de 44 Days : Diary from an Invisible War.

Organisé en partenariat avec l’UGAB Europe et L’œuvre d’Orient, l’événement rassembla une centaine d’invités issus du milieu académique et politique. Dans son allocution de bienvenue, Mr. F-X Bellamy souligna sa volonté, à travers cet événement, de porter l’accent sur les récits de (sur)vie des habitants arméniens du Haut-Karabagh, en commençant par celui de Lika Zakaryan qui en a livré un témoignage poignant dans son journal de guerre en 2020, adapté au cinéma par le film documentaire Invisible Republic, réalisé par Garin Hovanissian et produit par Creative Armenia.

La projection d’extraits du film fut suivie par un échange avec la jeune journaliste. Comme l’indiqua Lika, l’objectif du film, produit en 2022, était de sensibiliser un public plus large au sujet de la guerre des 44 jours, peu couverte dans les médias internationaux. « Si on continue de vouloir le montrer aujourd’hui, c’est surtout parce que cette guerre, malnommée, des 44 jours n’est pas finie. Elle continue sous diverses formes.», précise-t-elle lors de son échange avec F-X Bellamy. Lika évoqua également sa déception face à l’absence de réaction de la part de l’Union européenne pendant la guerre en 2020. Elle qui se considérait comme une pro-occidentale avant la guerre et croyait intimement aux valeurs de l’Europe, à la démocratie et à l’Etat de droit, fut profondément désillusionnée. Sa méfiance n’a dès lors cessé de croître vis-à-vis de ces « hommes en costume », comme elle les appelle, qui font de belles déclarations, sans le moindre geste : « les hommes en costume font des déclarations, mais quand vous êtes dans le sous-sol d'un immeuble, sous les bombes, ces déclarations ne vous réchauffent pas vraiment le cœur si aucune action ne suit », conclut-elle. Sans doute, Lika conservait-elle encore une trace de cette méfiance à son arrivée à Bruxelles, à l’invitation du député européen. La marque de soutien sincère et consistante qui lui a été démontrée au cours de l’événement l’a toutefois profondément émue. Elle termina son intervention par des remerciements sincères: “Merci à tous ceux qui sont venus aujourd'hui partager ce moment avec nous. Aujourd’hui, les habitants de l'Artsakh se sentent vraiment abandonnés. Savoir que quelque part des gens se réunissent et parlent d'eux, pensent à eux, se soucient pour eux, cela signifie déjà beaucoup. C'est là qu’un espoir peut naître”.

La deuxième partie de l’événement fut consacrée à une table ronde visant à présenter la situation actuelle dans le Haut-Karabagh, du point de vue géopolitique, de celui du droit international, du point de vue des actions menées par le Parlement, et du point de vue humanitaire et culturel.

Gaïdz Minassian, journaliste au journal Le Monde, chercheur et enseignant à Sciences Po Paris, apporta un éclairage géopolitique sur le conflit, en rappelant qu’il n’a pas été question, en 2020, d’une guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais d’une guerre entre le Haut-Karabagh et une coalition menée par l’Azerbaïdjan, incluant la Turquie et le Pakistan. Il précisa que l’Europe est directement concernée par ce qui se joue dans cette région de son voisinage oriental que l’on peut nommer « l’Europe caucasienne », ajoutant que les trois pays du Caucase du Sud font partie de la nouvelle Communauté politique européenne. Selon G. Minassian, l’UE « cherche à établir la paix dans cette région pour en faire un vrai carrefour, une zone tampon qui puisse même participer à la transition écologique de l’Europe, tandis qu’à contrario, la Russie voudrait maintenir la région dans un cercle fermé, suivant le format 3+3 (Russie, Turquie, Iran et Georgie, Arménie, Azerbaïdjan). Malheureusement, selon Gaidz, l’Europe n’a pas compris le problème du Haut-Karabagh ni à qui elle avait à faire en la personne du président Aliyev dont « la politique aux accents racistes, fascistes et terroristesn’est pourtant plus à démontrer. Face aux deux approches qui s’opposent vis-à-vis de la résolution du conflit, celle de la Russie et celle de l’Occident, Gaidz nota également que « l'angle mort de ces négociations, c'est le Karabakh. Personne ne parle du Karabakh.

Pierre d’Argent, Professeur de droit international à l’Université Catholique de Louvain, membre de l’Institut de droit international et Conseil de l’Arménie devant la Cour Internationale de Justice (CIJ), pris ensuite la parole pour présenter l’affaire en cours qui oppose l’Arménie à l’Azerbaïdjan devant la CIJ, en soulignant d’emblée la pratique du whataboutism, si chère à l’Azerbaïdjan. En effet, à chaque fois que l’Arménie introduit une requête auprès de la CIJ, l’Azerbaïdjan contre-attaque immédiatement en introduisant une requête comparable de son côté. Cette stratégie de l’effet miroir était aussi à l’œuvre au moment précis de l’événement au Parlement européen, qui accueillait un peu plus loin dans son enceinte le vernissage d’une exposition photo sur le « Karabagh après la guerre », parrainé par l’ambassade d’Azerbaïdjan. Maître d’Argent expliqua les ordonnances prononcées depuis 2021 dans l’affaire en cours, qui concerne notamment le déblocage du corridor de Latchine, en soulignant qu’il s’agit bien d’ordonnances juridiquement obligatoires. Si l’Azerbaïdjan, jusqu’à ce jour, continue d’être en violation du droit international en ne respectant pas ces ordonnances, l’affaire en cours auprès de la CIJ représente malgré tout, selon lui, un organe de surveillance des Nations-Unies pour faire en sorte que ce qui se passe là bas ne se passe pas complètement derrière un rideau que l'Azerbaïdjan voudrait le plus épais possible.

Le député européen bulgare, Andrey Kovatchev, rapporteur permanent sur l'Arménie au Parlement européen, présenta pour sa part les actions menées par le Parlement depuis la guerre des 44 jours en 2020, soulignant entre autres la résolution d’urgence au sujet de la situation des prisonniers de guerre en mai 2021 ainsi que la résolution concernant le blocus du corridor de Latchine en janvier 2023. Il évoqua également les deux rapports annuels sur les relations de l'UE avec l'Arménie et l'Azerbaïdjan adopté en mars de cette année, qui demandaient très clairement à l’Azerbaïdjan de limiter sa rhétorique de haine et qui appelaient à des mesures de renforcement de la confiance afin de pouvoir s'engager davantage dans un véritable processus de paix.

Enfin, Monseigneur Pascal Gollnisch, directeur de l'Œuvre d'Orient, rendit hommage au peuple arménien : nous pensions que d'avoir subi de tels massacres et un tel génocide méritaient le droit de vivre respecté et en paix. Que dirions nous si d'autres peuples génocidaires, on en connaît, seraient de nouveau attaqués dans le même esprit ?

Mgr Gollnisch parla également de la menace pesant sur le patrimoine culturel arménien du Haut-Karabagh et des projets de soutien menés dans la région par l’œuvre d’Orient.

Dans sa conclusion, François-Xavier Bellamy évoqua « les fausses négociations de paix » en cours et rappela la nécessité pour l’Union européenne d’imposer des sanctions contre l'Azerbaïdjan: « Notre rôle, à nous Européens, c'est de faire en sorte que le crime cesse pour que la négociation commence. Comment peut-on considérer que l'Arménie négocie librement et souverainement avec l'Azerbaïdjan alors qu'elle est aujourd'hui en train de vivre directement ce chantage que constitue le blocage du corridor de Lachine ? Il rappela que le Parlement a pris des positions très claires depuis le début de la guerre. Malheureusement, ses positions n'ont pas été traduites ni par la Commission qui considère Monsieur Aliyev comme un partenaire fiable, ni par le Conseil qui, malgré notre appel, n'a toujours pas enclenché de procédure de sanctions.”

En effet, difficile de regarder l’affiche géante aux couleurs ukrainiennes affublée du slogan “No More Gas from Putin”, dans l’agora du Parlement européen à Bruxelles, sans ressentir l’absence douloureuse d’une affiche voisine aux couleurs de l’Arménie qui clamerait “No More Gas from Aliev”.

Cet article a été publié dans les Nouvelles d'Arménie Magazine n°308