juin 24, 2023
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Discours du Président de l’UGAB, Berge Setrakian, à l’occasion du 110e anniversaire de l’UGAB en France

Madame l’Ambassadrice d’Arménie en France, Monsieur l’Ambassadeur Jonathan Lacôte, Monsieur le Représentant de l’Artsakh en France, Madame la Députée européenne Nathalie Loiseau, Madame la Présidente de Région Valérie Pécresse, Monsieur le Président de Région Laurent Wauquiez, Monsieur l’Adjoint au Maire Arnaud Ngatcha, Monsieur Gevorg Mantashyan, Vice-Ministre du High-Tech en Armenie, Monsieur Ara Toranian, co-président du Conseil de Coordination des Organisations Arméniennes de France (CCAF),

Chers Présidentes, chers présidents de sections locales de l’UGAB et de nos réseaux de Jeunes Professionnels, en France et en Europe,

Chers amis,

Ce soir, c’est avec une immense émotion et une très grande fierté que je m’adresse à vous, pour célébrer le 110e anniversaire de la présence de l’UGAB en France. 

110 ans et pourtant, les liens entre l’UGAB et la France remontent bien au-delà de cette date, car la pensée même de ses fondateurs a été forgée par l’esprit, la culture et l’éducation française. Boghos Nubar, fils du 1er ministre d'Egypte d'antan, qui en fut le créateur, avait choisi la France pour y faire ses études, qu’il paracheva à l’école Centrale. Sa philosophie et sa vision ont été guidés par les valeurs de la République française, au premier rang desquels l’esprit de solidarité et le sens du devoir envers l’État.

Fort de cette inspiration, il fonda l’UGAB en 1906, au Caire, aux côtés d’autres hommes de vision et de courage. La vocation de l’UGAB est alors annoncée avec force : contribuer au développement moral, économique et social des Arméniens.

Cependant, le plan pensé par les fondateurs de l’UGAB devra attendre, car il fallait rejoindre à l’urgence.

Le génocide des Arméniens de 1915 sera le premier grand tournant de notre organisation. A l’urgence sociale, succède l’impérieuse nécessité de sauver les Arméniens de la folie panturquiste qui vise à les anéantir. 

L’UGAB poursuit sa mission alors en créant des camps de réfugiés, des orphelinats, des écoles, allant même jusqu’à constituer des expéditions pour sauver les femmes et les enfants enlevés dans les tribus locales, aux confins de l’Anatolie.

C’est à travers ces orphelins que se reconstituera une nouvelle nation, la diaspora arménienne.

Mais alors que les actions de l’UGAB se déploient au Moyen-Orient, l’avenir des Arméniens se joue en Europe. A Sèvres, les Alliés victorieux redessinent la carte du Moyen-Orient. En 1920, Boghos Nubar, président de l’UGAB, prend la tête de la Délégation nationale arménienne lors de la Conférence de la paix à Paris. Il portera la voix des Arméniens ottomans et y défendra l’idée d’une Grande Arménie allant du Caucase à la mer Noire, sous mandat de la Société des Nations, mais ses efforts sont en vain car le traité de Lausanne vient mettre fin à cet espoir. 

Entre temps, les files interminables d’émigrés arméniens affluent sur les côtes de la Syrie, du Liban, des Etats-Unis, d’Amérique Latine et dans le port de Marseille. Et c’est là, que la première section française sera fondée en 1910.

En 1921, décision est prise de transférer le siège mondial de l’UGAB du Caire à Paris, avant son départ vers New York dans les années 40 à cause des circonstances de la guerre. Boghos Nubar crée la Bibliothèque Nubar à Paris et fonde au sein de la prestigieuse Cité Universitaire de Paris, la Maison des Étudiants Arméniens, toujours avec la conviction profonde que le salut des Arméniens ne pourra se faire sans l’éducation, la culture et le respect des valeurs républicaines.

C’est ainsi que, grâce à son esprit visionnaire, alliant philanthropie, diplomatie et sens de l’entrepreneuriat, il fonda la plus large organisation arménienne dans le monde, établie aujourd’hui dans plus de 36 pays, au service de l’avenir du monde arménien. 

Cet avenir s’est incarné par les nouvelles générations qui se sont succédé depuis plus d’un siècle.

Aux orphelins ont succédé les bâtisseurs des écoles, des centres culturels et des églises. Ils étaient les héritiers d’une tragédie, celle de la souffrance de leurs parents. C’est grâce à cette génération sacrifiée que leurs enfants ont pu garder intacts leur foi, leur culture et leur langue et devenir partie prenante du Nouveau Monde qui s’ouvrait à eux.

A la sueur de leurs fronts, ces bâtisseurs avaient transformé la souffrance en espérance.

Cette espérance qui s’incarna un matin de septembre 1991. L’UGAB avait donné à la diaspora le pouvoir de s’intégrer et de s’élever, elle devait maintenant mettre cette force au service d’une terre. Et cette terre, c’était l’Arménie, et le Karabagh, respectivement libérées de leur emprise soviétique et de l’oppression azérie. 

L’indépendance a donné naissance à une génération nouvelle, celle de ces enfants, ceux qui n’avaient connu ni exil, ni sacrifice, ni guerre. Après des décennies de douleur et de labeur, il était venu le temps du bonheur simple d’être ensemble et de regarder avec confiance vers l’avenir. 

Cette génération, celle de nos enfants, était notre rêve.

Pourtant, ce matin de septembre 2020, le ciel d’Artsakh s’est à nouveau assombri des couleurs de la guerre. Cette génération de l’espérance, nos enfants de 20 ans, ont pris leurs premières armes à l’âge de leurs premiers amours. Abandonnés et trahis par ceux qui se disaient leur allié et leur protecteur, seuls et presque sans arme, ils ont tenu 44 jours.

Nos fils et nos filles ont fait face avec courage, un courage héroïque, à la folie des hommes, de la fureur des armes de leur ennemi et leurs alliés qui ont fauché nos enfants avec leurs drones et leur arsenal acquis au plus cher auprès de leurs complices.

Ce soir, dans cette salle face à vous, c’est à eux que je pense, à ces presque 5000 de nos jeunes enfants, qu’on a perdu en 44 jours, nos héros, qui ont sacrifié leur vie pour notre terre, celle que leurs pères avaient sauvée par la force des armes et qu’ils avaient vu fleurir à la sueur de leurs fronts. Je pense à cette génération mutilée, tant dans l’esprit que dans les chairs, et à leurs familles et à leurs proches. Avec elles, c’est toute une nation qui porte ce deuil et cette souffrance ; c’est une nation tout entière qui leur rend hommage ce soir.

A l’heure où je vous parle, 120 000 Arméniens sont toujours asphyxiés par le blocus du corridor de Latchine. Plus de 200 jours qu’ils sont coupés de l’Arménie, et donc du monde, pour les tuer à petit feu, de froid, de famine et de désespoir. Ce blocus est un acte de guerre – une guerre lâche, sournoise, mais une guerre qui se déroule à la vue du monde et pourtant, dans le silence assourdissant des nations. Le monde détourne son regard, sans réaliser que les Arméniens d’Artsakh ne se battent pas seulement pour leur survie, ils battent chaque jour contre la mort au nom des valeurs que nous défendons, que l’Europe défend, au premier rang desquelles le respect des droits humains et la sauvegarde de notre humanité. 

Car ne nous y trompons pas : l'entreprise d’épuration ethnique des Arméniens ne s’inscrit pas seulement dans la continuité du Génocide de 1915, c’est un signal envoyé au monde. En laissant faire, par cynisme et lâcheté, ce n’est pas seulement l’Arménie et l’Artsakh que nous perdons : c’est une partie de notre Humanité et l’Europe qui renonce à elle-même.

C’est parce que vous partagez cette crainte et notre amour de l’Arménie, Madame la Députée européenne, Madame la Présidente de Région, Monsieur le Président de Région, Monsieur l’Adjoint au Maire, que vous êtes parmi nous ce soir, et je vous remercie. Dans les moments de douleur, vous avez été avec vos compagnons les premiers à vous mobiliser à nos côtés.

Ce qui vit en nous, en chaque Arménien, ce n’est pas seulement l’espoir, c’est la volonté.

C’est cette volonté qui nourrit l’action de l’UGAB, depuis plus d’un siècle. Une volonté intacte. 

L’UGAB France a été à l’avant-poste de notre organisation. En 110 ans d’existence, elle a su faire la preuve de sa vitalité. Ce dynamisme de nos équipes en France, nous le devons à nos chers volontaires, qui conduisent l’action de l’UGAB à Paris, Lyon, Valence, Vienne, St Chamond, Marseille, Nice et transmettent leur ardeur à tout notre réseau européen ; sous le leadership de tous ceux qui ont mis toute leur énergie à promouvoir la mission et les valeurs de l’UGAB. Je veux citer et remercier à cette occasion Nadia Gortzounian, notre présidente ainsi que tous ses prédécesseurs, et tous ceux qui les ont entourés et qui les entourent encore, dont plusieurs sont parmi nous ce soir pour n’en citer que Sona Attamian et Michel Sabbagh.

Car pour l’UGAB, la bienfaisance n’est pas seulement une vertu, c’est un devoir moral, c’est un engagement. Si les Français d’origine arménienne sont aujourd’hui un modèle d’intégration exemplaire, il n’est pas seulement par leur courage et leur ténacité. C’est aussi grâce à leur esprit de solidarité, auquel la République vient de rendre hommage en faisant entrer au Panthéon Mélinée et Missak Manouchian. 

Si nous sommes réunis ce soir, c’est bien sûr pour célébrer le 110e anniversaire de notre présence en France mais, vous l’avez compris, nos cœurs ne sont pas à la fête. L’évocation de ce siècle passé nous rappelle que nous sommes les humbles héritiers de notre histoire mais elle nous montre surtout, que nous sommes les acteurs de notre propre destin. 

Aujourd’hui, l’Arménie et l’Artsakh sont à la croisée des chemins, et notre avenir est entre nos mains. Au nom des rescapés, au nom des bâtisseurs, au nom des combattants, au nom de nos Héros tombés pour le salut de notre patrie, au nom de leur sacrifice à tous – il nous incombe une responsabilité devant l’Histoire : celle de ne jamais renoncer.

A vous, éminents responsables politiques, grâce à qui la voix de la France s’est élevée pour dénoncer l’injustice ; à vous, généreux bienfaiteurs de notre organisation, soutiens de la première heure sans qui rien ne serait possible ; à toi, jeunesse arménienne, espoir de notre peuple qui porte en elle les lendemains qui chantent, je vous adresse cet appel : notre union est plus que jamais nécessaire, notre énergie est plus que jamais indispensable, notre générosité est plus que jamais vitale. 

Ceux qui veulent la fin du peuple arménien ne savaient pas qu’en voulant nous détruire, ils nous avaient donné un destin. Et si l’Histoire nous a appris quelque chose, c’est que l’avenir ne se donne pas, il se prend. Dans 110 ans, l’UGAB existera toujours avec les générations futures qui porteront le flambeau dans la poursuite de sa mission. Aujourd’hui, l’avenir de l’Arménie et de l’Artsakh est devant nous. A nous de le conquérir.

Merci.

Cet article a été publié dans le Nouvelles d'Arménie Magazine n°309