Discours de Berge Setrakian lors de l'Assemblée Générale de l’UGAB
C’est un privilège de me tenir devant vous aujourd’hui. Nos Assemblées Générales, qui se tiennent tous les deux ans, constituent une occasion unique pour le Comité Directeur de dresser un bilan détaillé des deux années écoulées, d’analyser notre action et de façonner notre vision pour l’avenir.
La présentation de ce compte rendu est un élément central de notre esprit de responsabilité vis-à-vis de nos membres ainsi que de notre communauté dans son ensemble. Elle fait partie de l’essence même de notre organisation. C’est cette éthique qui a contribué à faire de l’UGAB une institution qui inspire confiance aux Arméniens du monde entier. Un siècle d’histoire a permis à l’UGAB de se doter d’un budget annuel de 50 millions de dollars et d’un patrimoine représentant près d’un milliard à l’échelle internationale. Notre Conseil d’Administration gère avec une rigueur exemplaire nos finances, nos programmes et nos projets, garantissant ainsi un retour sur investissement optimal et des décisions éclairées. Forts de cet engagement, nous contribuons à bâtir un brillant avenir à notre nation globale.
Au cours des 22 années de ma présidence, le Conseil d’Administration Central a perpétué avec dévouement la tradition de ses prédécesseurs et vous présente aujourd’hui un rapport financier clair et transparent.
Cependant, la véritable force de notre grande organisation ne réside ni dans cet esprit de responsabilité, ni dans ses moyens financiers. La force de l’UGAB repose avant tout sur l’engagement de ses membres. Depuis plus d’un siècle, notre institution a su attirer des personnes talentueuses et engagées, issues des quatre coins du monde. Des personnalités au parcours remarquable qui, au fil de leurs brillantes carrières professionnelles, n’ont jamais oublié leurs racines et ont su rendre à leur communauté ce que l’arménité leur avait apporté. Cette loyauté à notre identité et nos valeurs fonde la singularité de notre peuple. Ces valeurs que nous chérissons et défendons sont universelles, et c’est la raison pour laquelle l’UGAB est attachée à préserver cet esprit d’ouverture, au-delà de la seule communauté arménienne, et à ouvrir ses portes à tous ceux qui souhaitent mettre leur énergie à les servir. Cette vision, profondément enracinée dans celle de nos pères fondateurs, nous permet aujourd’hui de nous enorgueillir d’un réseau qui s’étend jusqu’à la Corée du Sud et l’Australie. Une présence mondiale dans 33 pays et 72 villes et dans les foyers de 50 000 Arméniens implantés dans 98 pays grâce à nos outils numériques. Parmi ces membres, nos réseaux de Jeunes Professionnels qui rassemblent notre jeunesse, avide de se rencontrer par-delà les frontières et d’écrire une nouvelle page de notre histoire. L’essor de ce réseau au cours des dernières années constitue l’une de nos plus grandes fiertés. J’ai pleinement confiance dans les valeurs qu’ils défendent, ils portent en eux une vision d’avenir pour la nation arménienne, ancrée dans l’histoire et tournée vers la modernité. Leurs visages sont autant de promesses de lendemains qui chantent.
Celui qui en exprimait cette pensée avec le plus de justesse était sans doute notre regretté Alex Manoogian qui, lors de son propre discours d’adieu alors qu’il se retirait de son mandat de président de l’UGAB en 1989, déclarait : « Lorsque je suis devenu président (en 1953), on disait que le soleil ne se couchait jamais sur l’Empire britannique. Ce n’est peut-être plus vrai pour les Britanniques mais je peux vous dire, aujourd’hui, que le soleil ne se couche jamais sur l’empire de l’UGAB ».
Il est désormais venu le temps pour moi de vous adresser à mon tour un discours d’adieu, puisque c’est la dernière fois que j’ai l’honneur de présider une Assemblée Générale de l’UGAB. Je saisis par conséquent cette opportunité pour vous partager mon analyse de l’état actuel de l’UGAB, mes perspectives sur l’évolution de son rôle dans ce monde en mouvement ainsi que sur l’impact qu’elle continuera à avoir sur la nation arménienne mondiale.
Au cours des 22 dernières années, nous avons été en première ligne, à la fois comme témoins des développements majeurs de l’Arménie et de la diaspora que comme acteurs de premier plan pour répondre aux enjeux qui nous faisaient face. Le premier d’entre eux fut sans conteste l’émergence des nouvelles technologies qui ont révolutionné notre vision du monde et notre action. Ce sont elles qui nous ont permis de poursuivre notre mission et de demeurer une organisation mondiale au service d’une nation globale. Elles, qui nous ont offert les outils pour répondre avec flexibilité et instantanéité aux mutations du monde et de notre diaspora. Elles, qui nous ont ouvert les portes d’un monde virtuel que nous avons toujours su mettre en balance avec la nécessité de nous rassembler lors d’évènements mondiaux, à l’instar de nos Assemblées Générales ou des conférences régionales, indispensables à la cohésion et à l’unité de notre réseau.
Nous avons également su faire face aux évènements dramatiques des deux dernières années et nous avons su faire front avec courage face à l’onde de choc qui a secoué notre nation, lors de l’invasion de l’Artsakh en 2023 et de la déportation forcée de l’ensemble de sa population en moins d’une semaine. Aujourd’hui, 120 000 personnes sont réfugiées en Arménie, créant de ce fait une crise humanitaire sans précédent. Le soutien héroïque de l’UGAB à cette communauté dévastée et traumatisée a été admirable. Cette réponse, nous avons su la déployer grâce au Fonds humanitaire mondial de l’UGAB que nous avions eu la clairvoyance de créer afin de pouvoir agir dans les meilleurs délais.
En quelques mois seulement, à la suite de cette tragédie, nous assistons impuissants à la destruction et l’élimination méthodique de notre patrimoine cultuel historique – nos églises, monastères et centres spirituels – après avoir procédé à l’épuration ethnique des Arméniens d’Artsakh, chassés de leurs terres ancestrales, laissant derrière eux leur héritage, celui d’une des plus anciennes civilisations chrétiennes.
Au cours des siècles, l’Artsakh est la seule terre qui a été peuplée de façon permanente par une vaste majorité d’Arméniens. Combien de nos aïeuls étaient originaires d’Artsakh ? Certainement bien plus que nous ne l’imaginons !
Pourtant, les grandes puissances mondiales qui étaient en mesure de mettre un terme à ce crime dévastateur et à ce dessein génocidaire ont fait le choix du silence ou de l’inertie. Un siècle plus tard, 1915 se répétait sans que rien n’ait changé.
A ces évènements dramatiques, s’ajoute un autre défi : la diminution de la population arménienne du fait de son émigration. Un phénomène auquel nous assistions depuis l’indépendance et qui s’accentue, ayant pour conséquence une réduction estimée à un tiers de la population arménienne. Cette situation est préoccupante car nous le savons : un territoire sans peuple serait à la merci des ambitions de ses voisins.
L’État arménien est aujourd’hui en proie à une menace existentielle. Face à ce constat, rien ne doit entraver notre ardente volonté à sauvegarder notre nation millénaire, ni les difficultés ni l’incertitude qui nous accablent. Si elle est parfois tentée par le fait de s’abandonner à la frustration et au désespoir, la diaspora doit se ressaisir, se rassembler et reconstituer ses forces pour soutenir notre patrie, mission à laquelle l’UGAB a toujours été et restera fidèle.
Les dirigeants de l’UGAB poursuivent notre engagement en Arménie, comme l’ont fait nos prédécesseurs avant nous. Quelle que soit la conjoncture dans laquelle se trouve l’Etat, l’UGAB continuera de s’investir pour permettre au peuple arménien de prospérer.
Cette crainte que nous avons pour l’Arménie s’étend malheureusement à la diaspora, et en particulier à l’endroit des Arméniens de notre ardent Moyen-Orient dont la présence s’est considérablement amoindrie avec l’installation d’une grande majorité d’entre eux vers les Etats-Unis, notamment en Californie. C’est sur ces terres ensoleillées qu’ils ont replanté leurs racines, constituant aujourd’hui la plus importante communauté de la diaspora occidentale. Une communauté riche et dynamique, forte de sa diversité, avec ses écoles, ses centres culturels, ses églises. Comme eux, beaucoup de nouvelles générations venues d’Arménie y ont créé de nouveaux foyers ainsi qu’en Europe, et notamment en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne et dans d’autres pays occidentaux. Toutes ces vagues de migration nouvelles auront un impact sur la question de notre identité. L’UGAB, à travers ses sections, leur a ouvert ses portes pour les accueillir comme membres et amis de cette grande famille mondiale qu’est l’UGAB.
En 1977, lorsque j’ai rejoint le Conseil d’Administration, le monde arménien était radicalement différent. L’Arménie était protégée de ses ennemis et, à l’image de la diaspora, elle vivait une ère de renaissance culturelle. Nos communautés internationales étaient engagées et mobilisées, unies derrière cette noble cause qu’était la reconnaissance du génocide arménien, la condamnation du négationnisme et la demande de réparations.
L’indépendance de l’Arménie et l’évolution démographique de la diaspora ont provoqué un changement de paradigme. Nos communautés, tout en poursuivant leur intégration, ont été confrontées aux défis que supposent le risque d’assimilation et par là, la dissolution de leur identité arménienne. Nous ne pouvons nier le déclin de la langue arménienne au sein des foyers et l’affaiblissement de la pratique religieuse qui touche l’ensemble du monde chrétien et dont l’Église arménienne n’est pas exempte. La nouvelle génération a désormais le choix d’embrasser ou de rejeter son identité arménienne.
La nation arménienne se trouve aujourd’hui à un carrefour historique. Elle est divisée à parts presque égales entre l’Arménie, la diaspora russe et la diaspora occidentale. Chacun de ces pôles est détenteur d’une vision singulière de ce qu’est l’identité arménienne. Cela qui explique pourquoi nous sommes à la fois si différents et pourtant si similaires. Mais une conviction profonde nous anime : celle que, pour survivre comme nation globale, il faut renforcer les ponts qui nous lient. Ni l’État arménien, ni la diaspora ne peuvent y parvenir seul. Depuis que je suis engagé au sein de la gouvernance de l’UGAB, nous avons œuvré pour combler les lacunes, forts de notre important réseau mondial. Nous sommes aujourd’hui la preuve vivante et un brillant exemple de la manière dont, malgré notre diversité, notre unité prévaut. Cela est particulièrement vrai lorsqu’une crise frappe les Arméniens, où qu’ils se trouvent dans le monde. Il faut voir nos sections, nos comités régionaux, nos bénévoles et nos groupes de Jeunes Professionnels s’unir et se mobiliser. Je peux vous assurer, que cet élan fraternel et solidaire, cette compassion et cet amour, touchent ceux qui le reçoivent en plein cœur. C’est cet esprit qui s’incarne dans notre devise : l’union fait la force.
L’identité arménienne a été éprouvée, remise en question à maintes reprises. Hier, c’était la perte de l’Arménie occidentale au début du XXe siècle, aujourd’hui c’est celle de l’Artsakh au XXIe siècle et demain, notre plus grande crainte est le risque de perdre l’Arménie, toujours menacée sur son sol. Mais au-delà de son territoire, il est aussi question de son identité nationale qui évolue au gré des influences extérieures et du renversement de ses alliances.
Les difficultés auxquelles nous sommes confrontés sont communes à des nombreuses petites nations. C’est pourquoi il est impératif que nous nous appuyions sur la vision et les rêves de nos pères fondateurs et qui sont autant de lumières qui nous permettent de naviguer dans cette période obscure. L’ouverture au monde est également une condition essentielle à notre survie, l’isolement constituant une menace réelle et mortifère. Il est essentiel de nous intégrer, d’être partie prenante des communautés dans lesquelles nous vivons, sans jamais oublier les leçons transmises par les générations passées. Leurs histoires nous permettent une mise en perspective et nous rappellent l’impérieuse nécessité de ne jamais abandonner.
Au fil des siècles, l’Église arménienne a constitué une force unificatrice sans précédent, pérennisant notre culture, nos valeurs, nos traditions et notre foi. Elle est le symbole de ce lien invisible qui nous unit malgré les frontières et à travers les générations.
C’est pour cela que le soutien à l’Église est au cœur des missions de l’UGAB depuis sa création, tant dans son renforcement que dans son développement.
L’Église arménienne est le foyer spirituel de notre arménité. Dans ces périodes d’incertitude, et de bouleversement de notre société, alors que nos systèmes politiques, le monde des affaires, nos valeurs familiales, notre éthique et notre civisme sont en péril, l’Homme est à la recherche de pôles de stabilité et de soutien spirituel. L’Église peut apporter son soutien à cette quête de repères et de spiritualité afin de reconnecter avec ce qui nous constitue.
C’est pourquoi nous attendons des dirigeants de notre Église un renouveau en préparant des missionnaires capables et qualifiés pour qu’ils soutiennent nos communautés dans cet esprit. Avec notre soutien, l’Église doit continuer à fournir les moyens aux membres du clergé de poursuivre leurs études au plus haut niveau et dans les meilleures institutions. Car ce sont eux qui, demain, seront les passeurs de mémoire, les ambassadeurs de notre identité et les gardiens de notre foi dans le monde. C’est pour cette raison que nous considérons comme prioritaire le soutien à l’enseignement de notre clergé. Grâce à une approche plus personnelle et individuelle, notre Église nationale continuera d’être le bastion de notre identité. Ainsi, chaque Arménien qui aura besoin de nouer ou renouer avec une communauté de pensée et de spiritualité pourra compter sur l’accueil, le soutien et les enseignements de nos responsables religieux.
Comme nous avons su le démontrer tout au long de notre histoire séculaire, l’UGAB est une institution connue et reconnue dans laquelle les Arméniens du monde entier placent leur confiance. Cette image nous la devons à notre capacité à nous adapter au changement, à nous préparer aux crises et à rester ouvert aux nouvelles opportunités, tout en demeurant fidèles à nos valeurs et à notre mission intemporelle.
Avant de conclure, je tiens à remercier tous ceux qui ont accordé leur confiance et leur soutien à cette organisation unique. Nous nous réjouissions à l’idée de poursuivre la mise en œuvre de programmes audacieux sous la présidence de mon successeur et ami, le huitième président de l’UGAB, Sam Simonian. Son expérience, personnelle comme professionnelle, et sa détermination sont des atouts indéniables pour notre organisation et je ne doute pas qu’avec ses qualités, il saura la mener avec force et brio vers un avenir radieux.
Ces 22 dernières années comme président représentent l’engagement de toute une vie. Cette route a été jalonnée de beaucoup de rebondissements, marquée par des hauts et des bas. Mais votre confiance, et votre amitié, tout au long de ces deux décennies m’ont donné la force de maintenir le cap.
C’est une vocation que de servir notre nation globale sans attendre d’autre récompense que la satisfaction de soutenir et d’élever notre cause, tout en transmettant aux nouvelles générations cette fierté d’être Arménien et la volonté de poursuivre notre mission. J’espère que chacun de vous ressent cet appel pour contribuer à cette même cause à travers l’UGAB.
Je tiens à remercier tous mes collègues membres du Conseil d’Administration Central et du Conseil de Trustees, présents comme passés, nos présidents de comités régionaux et de sections, nos équipes professionnelles à travers le monde, qui servent avec détermination notre organisation, nos bienfaiteurs et amis et en particulier le président de notre Conseil des Trustees, Vatché Manoukian, pour son soutien indéfectible. Je veux aussi adresser mes remerciements à Sa Sainteté Karekine II, patriarche suprême et catholicos de tous les Arméniens. Il a été une source d’inspiration à chaque moment de mon parcours. Il a été un ami, un conseiller et un fervent défenseur de l’UGAB depuis le début grâce à la foi et à la confiance qu’il a placé dans notre Union. Il a placé la barre haute et a su guider notre Église pendant les périodes les plus troubles de notre histoire depuis l’indépendance.
Enfin, je souhaite remercier celle qui m’a accompagné dans cette aventure. Ma chère Vera. Elle incarne par sa patience, sa sagesse et son intelligence l’image même de la femme arménienne. Sa compassion, son sens ultime du don de soi, et sa croyance dans la mission menée par l’UGAB m’ont permis de tenir bon toutes ces années. Le comble du bonheur est de voir mes filles, Ani et Lara, suivre avec dévouement l’exemple de leur mère.